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La Transformation Intérieure

Question. Maître Samael, est-il possible de se transformer par l’autosuggestion ?

Réponse. Il est nécessaire de mourir d’instant en instant, car ce n’est qu’avec la mort que survient quelque chose de nouveau : chaque fois que nous avons compris intégralement un défaut, le Moi qui le personnifie est désintégré dans les mondes internes ; chaque fois qu’un Moi est désintégré, nous obtenons quelque chose de nouveau, un pouvoir, une vérité, une vertu, etc.

Ce n’est pas en nous disant que nous allons devenir charitables, véridiques, honnêtes, chastes, patients, que nous le serons effectivement, que nous acquerrons ces vertus. En réalité, ces vertus naissent en nous comme résultat de la compréhension profonde. Si nous comprenons profondément ce qu’est la cruauté, alors naîtra en nous la charité. Si nous comprenons en profondeur comment se manifestent en nous le mensonge, la fausseté, il n’y a pas de doute que naîtra en nous le désir fervent de dire toujours la vérité, et rien d’autre que la vérité ; et ainsi de suite pour toutes les vertus : elles viennent toutes à nous lorsque nous comprenons profondément nos propres erreurs.

C’est uniquement sur la base de l’auto-observation profonde, de l’analyse intellectuelle et de la méditation parfaite, que nous pouvons réussir à comprendre intégralement chacun de nos défauts. Nous pouvons affirmer des millions de fois : « Je vais être chaste, tempéré, patient, altruiste, désintéressé, etc. », ce sera inutile si nous ne comprenons pas intégralement nos défauts dans tous les niveaux du mental.

On ne dissout pas le Moi avec de la bigoterie, ni par le fanatisme stupide, ni par l’autosuggestion. Les bonnes intentions ne servent à rien, non plus que la répétition constante de formules positives. Rien ne sert de répéter : « Je ne me mettrai plus en colère » ou « je ne serai plus luxurieux » ; les Moi de la colère et de la luxure n’en continueront pas moins d’exister dans nos profondeurs psychiques.

Le Moi est un « livre en plusieurs tomes » qu’il nous faut étudier attentivement si vraiment nous voulons le dissoudre et fabriquer l’Âme. Nous devons d’abord nous auto-observer minutieusement pour découvrir nos propres défauts, ensuite analyser intellectuellement ces défauts et méditer profondément sur eux pour comprendre comment ils se comportent dans les différents niveaux du mental, enfin les réduire en cendres par le pouvoir igné de notre Mère cosmique particulière.

Si nous voulons dissoudre le Moi pluralisé, nous devons aussi abolir l’orgueil de nous croire bons et saints ; les personnes qui sont nourries de Théosophie, de Rosicrucisme, de Spiritualisme, etc., ont une tendance marquée à se croire bonnes, charitables, pures… Ces personnes luttent inconsciemment pour conserver leur propre Moi, elles ne veulent pas reconnaître leurs propres erreurs, elles sont pires que celles que l’on dit profanes, parce que celles-ci, au moins, ne se pensent pas des saints et ne se prétendent pas vertueuses.

En réalité, il nous faut partir de zéro si nous voulons vraiment dissoudre le Moi, l’Ego réincarnant. Que cela nous plaise ou non, la vérité est que nous sommes des diables, des gens pervers ; si nous acceptons cette atroce vérité, nous commençons à mourir d’instant en instant.

Nous devons nous rappeler que dans l’encens de la prière se cache également le crime, que dans le parfum de la courtoisie et des belles manières le crime se cache aussi, de même que dans les rythmes miraculeux d’un poème. Le délit revêt le déguisement du saint, du maître, de l’anachorète, de la personne charitable, de l’homme parfait… Si nous voulons dissoudre le Moi, nous devons nous décider à nous auto-explorer profondément dans tous les niveaux du mental. Il nous faut être sincères avec nous-mêmes et ne pas nous présumer bons ni saints, parce que nous sommes tous, en réalité, des méchants.

Ce que nous disons est très dur à avaler, et il est probable que cela ne plaira pas aux bigots, à ceux qui singent la sainteté, à toutes les personnes remplies de bonnes intentions, mais c’est la vérité et si nous ne le reconnaissons pas, il devient absolument impossible de dissoudre l’Ego.

Q. Maître, qu’est-ce qu’on appelle l’Âme ?

R. L’Âme, c’est tout cet ensemble de forces, de vertus, de pouvoirs et facultés de l’Être. Si nous éliminons par exemple le Moi de la colère, à sa place se cristallisera dans notre personne humaine la vertu de la sérénité, de la patience. Si nous éliminons le défaut de la mesquinerie ou de l’égocentrisme, la vertu merveilleuse de l’altruisme se cristallisera à la place. Si nous éliminons le défaut de la luxure, à la place se cristallisera dans notre Âme la vertu admirable de la chasteté. Si nous éliminons de notre nature la haine, à la place se cristallisera l’amour dans notre personnalité. Si nous éliminons le défaut de l’envie, à la place se cristallisera la joie pour le succès d’autrui, la philanthropie, etc.

Il est donc indispensable de comprendre la nécessité d’éliminer les éléments indésirables de notre psychisme afin de cristalliser dans notre nature humaine ce que nous appelons l’Âme : c’est-à-dire un ensemble de forces, d’attributs, de vertus, de pouvoirs cosmiques qui sont le propre de notre Être réel. Incontestablement, le plus important dans la vie c’est précisément de cristalliser l’Âme en nous.

Car il nous faut absolument savoir que l’animal intellectuel, appelé à tort homme, n’a pas d’Âme. L’animal intellectuel n’a que le matériau psychique pour fabriquer l’Âme ; l’animal intellectuel doit fabriquer l’Âme.

Il est important de préciser que l’Âme n’est pas le Moi : le Moi n’est pas divin, le Moi n’est pas immortel ; le Moi continue après la mort – tant qu’il n’est pas désintégré – et se réincarne pour satisfaire ses vices, passions, désirs, pour répéter les actions de nos vies passées…

Le Moi est pluralisé ; le Moi est une légion de diables qui continuent de vivre après la mort du corps physique. Le corps du Moi, c’est le corps des désirs (l’astral lunaire).

Le Moi est la racine de toute amertume ; le Moi est la racine de l’ignorance. Naître est douleur, mourir est douleur, vivre est douleur ; réellement, le Moi est l’origine de la douleur.

À l’intérieur de chaque personne vivent une foule de personnes, une foule de Moi. Le Moi est une légion de diables. Les pseudo-ésotéristes mal informés croient que nous avons une pensée unifiée, un mental unique. En réalité, nous avons en nous des milliers de personnes, chacune avec sa façon de penser, ses idées, ses émotions particulières. L’être humain n’a même pas d’unité, d’individualité véritable.

Quel est le nom de tous ceux qui sont ici présents ? Légion ! Chacun de vous est une légion. Et l’Essence, qui est la chose la plus digne, la plus précieuse que nous ayons, qui est la conscience elle-même, se trouve embouteillée dans cette légion des Moi, lesquels reçoivent au Tibet l’appellation « d’agrégats psychiques ». Vous n’avez pas de véritable identité, car il s’agit de quelque chose qu’il faut acquérir. La conscience de chacun de vous est terriblement endormie parce qu’elle ne peut fonctionner qu’en vertu de son propre « embouteillement ».

Lorsque nous affirmons qu’à l’intérieur de notre personne humaine vit une multitude de personnes, nous n’exagérons rien. Toutes ces personnes se battent entre elles pour la suprématie. Chacune veut être le maître, et celle qui réussit momentanément à dominer les autres acquiert le contrôle des cinq cylindres de la machine humaine, c’est-à-dire des centres intellectuel, moteur, émotionnel, instinctif et sexuel. Pendant un instant, cet agrégat psychique se croit le seul et unique. Mais il est bientôt supplanté par un autre qui vient occuper sa place et s’emparer de nous, pour être peu après remplacé par un troisième, et ainsi de suite.

Bien que cela puisse sembler incroyable, aucune des personnes ici présentes n’est la même pendant ne serait-ce qu’une demi-heure ! À l’agrégat psychique qui contrôlait votre machine humaine au moment où vous êtes arrivés, s’est substitué un autre agrégat qui s’est mis à écouter, puis un autre qui a douté ou acquiescé, puis un autre encore qui a réagi, etc. Si vous croyez que vous êtes les mêmes depuis que vous avez mis les pieds ici, vous êtes alors victimes d’automystification, car les agrégats psychiques qui manœuvrent notre machine humaine, qui pensent à travers notre centre intellectuel, qui s’émeuvent à travers notre centre émotionnel, qui font bouger notre corps à travers notre centre moteur, qui se nourrissent de nos énergies sexuelles, ne cessent de changer, de se substituer les uns aux autres.

La vérité ne plaît à personne, mais nous devons quand même la dire. Et la vérité c’est que les gens croient qu’ils ont une Âme alors qu’ils n’ont, à l’intérieur d’eux, que le Satan, le Moi.

Le Satan, la légion du Moi, gaspille stupidement le matériau animique, le matériau psychique, en explosions atomiques de colère, d’envie, de luxure, d’orgueil, de convoitise, de paresse, de gourmandise, etc. De rien il ne peut rien sortir : si le Moi dilapide la « matière première » – le matériau animique – il est évident que nous ne pourrons jamais fabriquer ou, pour mieux dire, cristalliser l’Âme. Celui qui ne cristallise pas son Âme sera dévoré par l’Abîme, il tombera en involution dans le monde minéral submergé – les neuf cercles dont parle Dante dans sa Divine Comédie.

C’est avec raison que le Christ Jésus a dit « Que sert donc à un homme de gagner tous les trésors du monde, s’il perd son Âme ? » Est-il possible de perdre son Âme ? Oui, c’est possible : celui qui entre dans les mondes infernaux perd son Âme. Y aurait-il un moyen qui nous évitât de perdre l’Âme ? Oui, certes, en la cristallisant en nous-mêmes ici et maintenant. Chaque fois que nous éliminerons un agrégat psychique, alors une vertu, une faculté, un don sera cristallisé à l’intérieur de nous. C’est ainsi que l’Âme se cristallisera peu à peu en nous.

Car il n’existe réellement qu’une seule méthode pour fabriquer l’Âme. Cette méthode c’est le processus qui conduit à la dissolution du Moi. Une fois que le Moi est mort, il n’y a plus personne pour gaspiller la matière première, et alors le matériau animique s’accumule en nous, se convertissant en un centre permanent de conscience. Ce centre, c’est l’Âme.

Mais nous devons affirmer que « si l’eau ne bout pas à cent degrés centigrades, on ne peut pas cuire ce qui doit être cuit ». Je parle en termes symboliques : je veux dire par là qu’il faut passer par de grandes crises émotionnelles pour désintégrer chacun des défauts de type psychologique et cristalliser à la place ce qu’on appelle l’Âme.

Il est merveilleux de voir vertus et pouvoirs se cristalliser lentement dans l’Essence, au fur et à mesure qu’elle se libère de sa gangue égoïque. C’est pourquoi nous disons que l’Essence est le matériau pour cristalliser l’Âme.

Q. Vous avez dit que nous, les humanoïdes, sommes en réalité des diables. Que pensez-vous alors des ésotéristes qui affirment que nous sommes des dieux ?

R. Il y a effectivement des auteurs réputés et très honorables qui affirment que nous sommes des dieux, que chacun de nous est un dieu. Il va sans dire que cette assertion peut fortifier en nous l’orgueil mystique, lequel fait un tort énorme sur le sentier de l’autoréalisation, car il n’y a pas de place pour l’orgueil ou la présomption sur ce chemin.

Croire que l’on est un dieu peut nous faire devenir un mythomane. Il est impossible de se transformer en un véritable Illuminé tant qu’on a de l’orgueil. Et comment peut-on vraiment se croire un dieu tant que l’on est ivrogne, fornicateur, colérique, adultère, orgueilleux, jaloux, glouton, etc., – et c’est bien ce que nous sommes en vérité !

Nous devons nous en tenir à la réalité des faits, regarder ce que nous sommes sans nous bercer d’illusions : nous nous empiffrons, nous nous mettons en colère, nous forniquons, nous commettons l’adultère, nous haïssons, nous critiquons, nous sommes envieux, jaloux, paresseux, etc. Croyez-vous que tout cela pourrait être le fait d’un dieu ? Mieux vaut dire : « Nous sommes de misérables vers dans la terre bourbeuse », et nous en convaincre tout à fait !

Est-il si difficile de s’en convaincre ? Il suffit d’être sincères avec nous-mêmes. Si nous examinons attentivement notre existence, nous découvrirons qu’elle n’est en rien une des merveilles du monde ! Si nous nous observons objectivement, si nous faisons un examen sérieux de nous-mêmes et de notre propre vie, nous serons loin de l’émerveillement ! Lorsque nous comprenons bien tout cela, nous marchons sur le chemin de l’Initiation et de l’humilité.

Il y a l’orgueil de la position sociale, l’orgueil de la richesse matérielle, l’orgueil des origines prestigieuses, l’orgueil de la renommée, etc., mais l’orgueil mystique, la croyance que nous sommes sages, que nous sommes de grands initiés ou des dieux, est une forme d’orgueil bien plus subtile et plus pernicieuse. C’est une chose très grave, car l’orgueil ne nous permettra jamais d’avoir une relation correcte avec les parties les plus élevées de l’Être. Si nous ne pouvons pas nous relier adéquatement aux parties les plus hautes de notre Être, nous ne pourrons pas non plus obtenir l’Illumination. Nous devrons nous contenter d’écouter les conférenciers sans jamais jouir de l’expérience de la Réalité. En entreprenant ces études, il nous faut à tout prix travailler sur le défaut de l’orgueil. Au fur et à mesure que nous désintégrons ce défaut, la vertu de l’humilité se cristallisera en nous.

Celui qui parvient à la désintégration complète de ses agrégats psychiques cristallisera en lui-même cent pour cent de son Âme, laquelle est un ensemble inestimable de gemmes, de vertus et d’attributs spéciaux, de dons, de qualités et de perfections ; le corps physique lui-même doit se transformer en Âme.

Nous devons travailler dur sur nous-mêmes et désintégrer nos agrégats psychiques si vraiment nous voulons posséder ce qu’on appelle l’Âme et jouir de la véritable Illumination. Lorsque l’on possède l’Âme, alors naît en nous l’Homme-Esprit, l’Homme-Christ, l’Homme céleste, qui n’est plus enfermé dans le corps dense et peut en sortir et y rentrer à volonté. Cet homme est un Adepte glorieux. Rappelons-nous ces paroles de saint Paul : « J’ai connu un homme qui fut transporté au troisième ciel où il a vu et entendu des choses qu’il n’est pas donné aux hommes de comprendre ».

Q. Maître, dans le travail concret de la méditation sur le Moi, doit-on commencer par revoir tout ce qu’on se rappelle du Moi que l’on veut éliminer ?

R. « Ce qu’on se rappelle du Moi » : cette formule me paraît bien vague, imprécise, insubstantielle… Soyons plus exacts : quel défaut viens-tu de découvrir dans la pratique ? Si tu es en auto-observation, si tu es alerte et vigilant comme la sentinelle en temps de guerre, tu as certainement découvert un défaut. Lequel est-ce ? Dans quelles circonstances s’est-il manifesté ? As-tu prononcé une parole avec colère ? As-tu eu une impulsion luxurieuse ? Quel était le contexte ? Comment cela s’est-il produit exactement ? Est-ce que cela s’est passé chez toi, au travail, dans un restaurant, ou pendant ton sommeil ? Peux-tu visualiser le moment précis où tu as senti, par exemple, un accès de colère ? Peux-tu te remémorer comment la chose s’est passée ? Il faut partir de faits concrets, et non de vagues souvenirs, incolores, sans substance ; nous devons être cent pour cent pratiques. Alors reconstruis minutieusement, visualise cette scène de colère dans ses moindres détails : c’est sur cela que tu vas travailler dans la méditation sur le Moi.

Et pourquoi as-tu eu cette bouffée de colère ? Pourquoi as-tu réagi avec colère ? Parce qu’on a blessé ton orgueil peut-être ? Bon ! Il y a donc au moins deux défauts impliqués. Tu dois donc travailler, concrètement, sur ces deux Moi. Combien d’heures restes-tu dans ton lit, avec ton corps relaxé, revoyant en détail tout ce qui s’est passé, puis t’efforçant de le comprendre ?

Nous devons être plus profonds. Les fossés peu profonds, au bord des chemins, se transforment en marécages, remplis de pourriture, ou se dessèchent sous les rayons du soleil ; mais les eaux profondes, pleines de vie, pleines de poissons, sont très différentes. Il faut donc que nous soyons plus profonds dans notre travail intérieur.

Q. Vous nous avez enseigné qu’il faut avoir de l’ordre et de la précision dans l’élimination des défauts. Or, comme on sait, une foule de défauts différents se manifestent pendant une journée. Alors comment mettre de l’ordre là-dedans ? Doit-on chercher une sorte de dénominateur commun qui correspondrait à ce que vous avez appelé le « trait psychologique principal » ? Comment pouvons-nous comprendre cela et sur quoi devons-nous travailler exactement ?

R. Le « trait psychologique principal » est une chose fondamentale, parce que lorsqu’on le connaît la désintégration de l’Ego devient plus facile. Mais je vais vous dire à ce sujet une grande vérité : avant de nous explorer nous-mêmes pour connaître le trait psychologique principal, nous devons beaucoup travailler sur l’ensemble de nos défauts, parce qu’il n’est pas si facile de le découvrir. En vérité, chacun de nous a de fausses conceptions sur sa propre personne, nous nous voyons toujours de façon erronée ; les autres nous voient souvent mieux que nous-mêmes, car nous avons une foule d’idées fausses sur ce que nous sommes. Nous ne pouvons découvrir notre trait psychologique principal tant que nous n’avons pas éliminé un bon pourcentage d’agrégats psychiques inhumains. C’est pourquoi, si vous voulez connaître ce trait psychologique principal, il vous faudra travailler sur vous-mêmes pendant cinq ans au moins. Après ces cinq années de travail intense, nous pourrons avoir recours à la méthode de rétrospection, pour l’appliquer tant à notre vie actuelle qu’à nos existences passées, puisque ce trait psychologique dominant a des racines très profondes dans nos existences antérieures. Nous constaterons alors avec stupéfaction que nous avons commis la même erreur à maintes reprises. Nous découvrirons un Ego-clef qui nous a toujours poussés à commettre les pires erreurs, qui a été l’axe déterminant de toutes nos existences antérieures. Mais pour pratiquer avec une certaine lucidité cet exercice rétrospectif, il faut indéniablement avoir déjà éliminé beaucoup de Moi. Il serait impossible de découvrir le trait psychologique fondamental si l’on n’avait pas appris au préalable à se servir de la méthode rétrospective de façon intelligente et lucide. Quand la conscience est très prise dans les Moi, il n’y a pas de lucidité : l’exercice rétrospectif s’avère alors très embryonnaire, sinon fantaisiste ou erroné.

Quant à la question de l’ordre dans le travail, c’est une chose nécessaire, mais qui n’a rien à voir avec le trait psychologique dominant. Lorsque vient le soir, tu te retires pour ta méditation quotidienne, puis tu relaxes ton corps et tu pratiques l’exercice de rétrospection qui doit porter sur ton existence actuelle, au moins sur les événements de la journée. Tu dois alors passer en revue, visualiser, reconstruire les événements de la journée ; une fois qu’ils auront été recensés et reconstruits, tu procéderas au travail, d’abord sur un premier événement auquel tu consacreras quinze ou vingt minutes, puis sur un autre auquel tu consacreras dix minutes, tout dépend en fait de la gravité des événements et de la qualité de ton auto-observation pendant la journée. Ainsi donc, en suivant l’ordre dans lequel ils se sont présentés, tu pourras travailler sur eux tranquillement et de façon ordonnée.

Q. Et les éliminer ensemble ou l’un après l’autre ?

R. On doit aussi procéder par ordre. Car dans tout travail sur n’importe quel élément psychologique entrent en jeu trois facteurs : 1) la découverte ; 2) le jugement ; 3) l’exécution. On applique ces trois aspects à chaque élément étudié, c’est-à-dire : découverte, ceci concerne les circonstances dans lesquelles tu as découvert un défaut ; jugement ou compréhension profonde du défaut ; enfin exécution, avec l’aide de la Divine Mère Kundalini. C’est ainsi que l’on doit travailler, parce que si tu attends d’en avoir fini avec un Ego pour commencer à travailler sur un autre, tu n’en finiras jamais. En effet, pour reprendre les mots de Virgile – le poète de Mantoue – dans sa divine Énéide : « Même si nous avions mille langues pour parler et un palais d’acier, nous ne réussirions pas à énumérer complètement tous nos défauts ». Si donc tu te proposais de travailler sur un défaut pendant deux mois, puis sur un autre pendant deux mois encore, comme il y en a des milliers, quand pourrais-tu tous les éliminer ? En outre, un défaut est associé à un autre, et celui-ci à un autre encore, et ainsi de suite ; il est rare qu’un défaut se manifeste seul. Il faut donc travailler sur eux avec ordre, au fur et à mesure qu’ils se présentent, en les étudiant quotidiennement.

Je vais vous donner un exemple qui vous montrera très clairement de quoi il s’agit : supposons qu’un homme surprenne son épouse ou son amie avec un autre homme ; alors surgirait sans doute en lui le Moi de la jalousie ; en même temps il se sentirait blessé dans son amour propre, puis viendrait la colère, bientôt suivie d’une grêle d’injures, résultat de cette très mauvaise transformation de l’événement. Si cet homme voulait d’abord éliminer le Moi de la jalousie, en concentrant tous ses efforts sur ce Moi et y consacrant des jours ou des semaines, qu’adviendrait-il alors des autres Moi ? Qu’est-ce qu’il en ferait, quand travaillerait-il sur eux ? Cette façon de procéder se révèle de toute évidence irréaliste, inapplicable, car on ajournerait sans cesse le travail sans jamais le terminer, sans aller jusqu’au bout du labeur entrepris, et tout deviendrait extrêmement compliqué et ne pourrait se terminer autrement que par un échec.

Il nous faut être concrets et pour cela nous devons travailler sur le terrain de la vie concrète, sur tout ce qui nous arrive chaque jour. Il faut donc cesser de théoriser sottement et ne plus perdre notre temps à des fadaises si, en vérité, nous voulons changer radicalement, sinon nous remettrons toujours le travail au lendemain, et ce lendemain n’arrivera jamais. Il est nécessaire d’éliminer ce Moi qui laisse toujours tout pour demain, car c’est aujourd’hui même que nous devons effectuer ce travail.

Tout cela suppose un processus prolongé et des souffrances volontaires de notre part, ainsi que beaucoup de patience et de ténacité ; il ne faut pas croire que c’est quelque chose de facile, mais il ne faut pas non plus nous mettre à ressasser les difficultés que nous allons avoir, car tous les problèmes seront graduellement clarifiés et résolus à mesure que nous travaillerons toujours davantage sur nous-mêmes. En un mot, le travail lui-même nous donnera progressivement cette faculté de discernement quant à ce que nous devrons réaliser et à la façon dont il conviendra de le réaliser. C’est ainsi que nous devons, tous et chacun, travailler, en laissant la Divine Mère accomplir aussi son travail. Elle sait ce qu’elle doit faire. Grâce au sens de l’auto-observation, nous verrons peu à peu les résultats. Si nous avons beaucoup de dévotion et prions beaucoup notre Divine Mère, « tout le reste viendra par surcroît ».

Q. Quelle est la nature de la compréhension ? A-t-elle simplement pour objet d’identifier nos défauts et de saisir les préjudices qu’ils peuvent nous causer ?

R. Il convient d’abord de préciser que compréhension n’est pas identification ; on pourrait identifier un défaut psychologique sans l’avoir compris. En outre, cette notion de la compréhension est assez complexe ; les degrés de compréhension varient beaucoup. Il se peut qu’aujourd’hui nous comprenions telle ou telle chose d’une certaine façon, d’une manière relative et circonstancielle, et que demain nous la comprenions mieux ou différemment… En fait, nous ne pouvons appréhender la signification profonde de tel ou tel défaut qu’au moyen de toutes les parties de notre Être intégral ; si une ou quelques parties de notre Être en ont capté la profonde signification, mais que les autres parties ne l’ont pas captée, alors la signification profonde et complète du Moi n’a pas non plus été appréhendée.

À propos de la signification profonde, de la « saveur » spécifique de l’Ego, nous ne devons pas nous forger de préconceptions. Nous ne pouvons connaître la signification profonde de telle ou telle erreur que dans l’instant ; c’est pourquoi nous ne devons absolument pas nous former d’idées préconçues sur ce que pourrait être la signification profonde de nos défauts.

Q. La compréhension résulte-t-elle d’une opération mentale ?

R. Le mental, avec toutes ses fonctions, est réceptif, féminin ; il s’avère absurde de vouloir en faire un instrument actif, positif. Toutes les notions, préconceptions, théories que nous pouvons élaborer n’ont rien à voir avec la véritable compréhension. Étant un instrument purement passif, le mental ne peut donc se substituer à la compréhension.

Tu dois distinguer la compréhension de ce qu’est l’instrument que nous utilisons pour nous manifester quotidiennement dans le monde. Il est indéniable que la compréhension est plutôt du ressort de l’Essence ; c’est une fonction intime de la conscience. La signification profonde de telle ou telle erreur psychologique relève des diverses perceptions ou expériences directes vécues par les différentes parties de l’Être uni-total.

Q. Maître Samael, lorsqu’on marche dans la rue, par exemple, et qu’un défaut apparaît, devrait-on se mettre à méditer sur ce défaut à cet endroit même ?

R. La rue n’est certes pas l’une des sept merveilles du monde pour se mettre à y méditer. On doit prendre note du défaut psychologique que l’on a découvert puis, une fois rendu chez soi, ou le soir avant de se coucher, on s’assoit confortablement ou on s’allonge sur le dos dans son lit et on essaie de relaxer son corps physique en respirant de façon rythmique, en imitant la respiration du nouveau-né, et alors, plongé dans une concentration parfaite et une profonde méditation, on reconstruira mentalement la scène dans laquelle le défaut a surgi, puis on analysera le défaut minutieusement, sincèrement, objectivement, sans justifications ni échappatoires ; nous méditerons enfin profondément sur le Moi pour comprendre son comportement dans les différents niveaux du mental.

Rappelez-vous que le mental a de multiples profondeurs que nous ignorons normalement. Beaucoup de saints qui, ici dans le plan physique, étonnaient le monde par leur sainteté, étaient toujours dans les autres niveaux du mental de grands pécheurs ; lorsqu’ils s’en apercevaient, cela les faisait énormément souffrir et ils portaient sac et silice, ils jeûnaient et effectuaient de grandes et terribles pénitences ; les saints ont presque toujours échoué quand on les a mis à l’épreuve dans les mondes supérieurs.

Une fois qu’on aura compris le Moi dans les multiples niveaux du mental, on se consacrera à la prière. « Nous devons prier et nous devons travailler », dit une phrase latine qui figure dans une gravure alchimique, jouant sur les mots latins orar, prier, et laborar, travailler. Qui prie bien, travaille bien…

Absorbés dans une profonde oraison, nous prierons avec ferveur Devi Shakti, la Mère individuelle particulière de chacun de nous, nous lui demanderons de désintégrer cet agrégat psychique que nous aurons préalablement compris dans tous les niveaux du mental. Plongés donc, dans une profonde méditation, concentrés sur notre Divine Mère intérieure, nous la supplierons d’éliminer de notre psychisme ce Moi que nous voulons désintégrer. Il est possible, dépendant de notre compréhension, que notre Divine Mère, à ce moment-là, agisse, décapite ce Moi, mais il ne faut pas croire alors que tout le travail est terminé ; notre Divine mère ne va pas tout désintégrer instantanément. Elle ne peut dissoudre ce que nous n’avons pas compris, et en fait elle ne pourra dissoudre le Moi totalement que lorsque nous l’aurons compris intégralement dans tous les niveaux du mental, ce qui ne pourrait être fait en une seule fois. Il faudra donc, si tout le Moi n’est pas désintégré, faire preuve de patience ; par des travaux successifs nous obtiendrons avec le temps l’élimination de ce Moi. Il se désintégrera lentement, perdant peu à peu de son volume, s’amenuisant. Un Moi peut être vraiment horrifiant, mais à mesure qu’il réduit de volume il embellit progressivement. Il prend ensuite l’apparence d’un petit enfant pour finalement devenir poussière. Lorsqu’il est devenu poussière, la conscience ou la parcelle de conscience qui était enfermée, embouteillée, encagée dans ce Moi, est libérée : la lumière augmente alors en nous, car une parcelle de lumière a été libérée. C’est ainsi que nous devrons procéder pour chacun des nombreux Moi.

Le travail est long et très dur. Toute pensée négative, si insignifiante soit-elle, a pour origine un Moi, qui peut être très ancien, et ce Moi doit être arraché, extirpé de notre psychisme. Nous devons l’étudier, connaître ses agissements, voir comment il se comporte dans les cinq centres : intellectuel, émotionnel, moteur, instinctif et sexuel ; il nous faut comprendre de quelle manière il travaille dans chacun de ces cinq centres, car c’est en examinant son comportement à travers les centres fonctionnels de notre machine organique que nous allons le connaître.

Lorsque nous avons éveillé le sens de l’auto-observation, nous nous rendons compte par nous-mêmes que certains de ces Moi sont tout à fait horribles ; ce sont des monstres vraiment affreux, macabres, très réels, qui vivent à l’intérieur de notre pays psychologique et que nous devons désintégrer pour faire la lumière à l’intérieur de nous.

Il existe des Moi très difficiles à éliminer, des défauts terribles, des Moi qui sont reliés au karma. Quand nous atteignons ces Moi, nous semblons nous arrêter dans notre progression, et c’est effectivement ce qui se produit. Mais en faisant preuve d’une patience infinie, nous réussirons finalement à éliminer ces Moi. La patience et la sérénité sont des facultés extraordinaires, des vertus magnifiques, nécessaires pour avancer sur ce chemin de la transformation radicale.

Observez-vous dans la vie pratique : êtes-vous impatients ? Savez-vous rester sereins en toute circonstance ? Si vous n’avez pas ces deux précieuses vertus, il vous faut travailler à les acquérir. Comment ? En éliminant le Moi du manque de sérénité, les Moi de la contrariété, de l’irritation, de la colère, qui empêchent la sérénité.

Mais que cherchons-nous en fin de compte ? Nous voulons changer, changer totalement, car tant que nous restons ce que nous sommes actuellement, il est indéniable que tout ce que nous faisons c’est souffrir, nous rendre la vie amère. N’importe qui a le pouvoir de nous faire souffrir, il suffit que l’on touche une fibre sensible de notre cœur pour que nous souffrions. Quand on nous dit une parole dure, nous souffrons ; et si on nous tapote gentiment l’épaule en nous adressant des compliments, nous sommes tout heureux. Comme nous sommes faibles et influençables. Nous n’avons aucun contrôle sur nos propres processus psychologiques ; n’importe qui peut les modifier à son gré. C’est très facile de jouer avec le psychisme des autres.

Ainsi donc, il nous faut changer, nous devons éliminer tout ce qui nous rend faibles, nous devons nous transformer en quelque chose de différent, afin de devenir des créatures heureuses, car nous avons tous droit au bonheur.

Q. Le Maître Gurdjieff dit qu’il y a des Moi qui aiment le travail sur soi et d’autres Moi qui n’aiment pas ce travail. Qu’en pensez-vous ?

R. Oui, il y a effectivement des Ego utiles, et il y en a aussi d’inutiles. Il y a des Moi « bons », il y en a une foule, comme il y en a des mauvais. Il faut désintégrer les bons Moi comme les mauvais Moi, il faut désintégrer les Moi utiles et il faut désintégrer les Moi inutiles.

Un jour, un ami qui avait une manufacture de pantalons me dit : « Si je désintègre le Moi utile qui fait des pantalons dans ma fabrique, qui donc va continuer à faire des pantalons ? Mon affaire va échouer, je vais faire faillite ! — Ne te préoccupes pas de cela », lui répondis-je, « si tu désintègres ce Moi, une partie de l’Être correspondant à toutes sortes d’arts et d’habiletés prendra la relève et se chargera de la fabrication des pantalons et le fera même mieux que toi ! ».

Les Moi bons font de bonnes œuvres, mais ils le font à tort et à travers. Ils donnent l’aumône à un drogué qui s’empresse d’aller acheter d’autre drogue. Ils donnent l’aumône à un ivrogne pour qu’il continue à s’enivrer. Les bons Moi ne savent pas faire le bien.

En définitive, qu’est-ce qui est bon et qu’est-ce qui est mauvais ? Tout ce qui est à sa place est bon, ce qui n’est pas à sa place est mauvais. Le feu, par exemple, est bon, mais s’il brûlait votre maison ou s’il vous grillait vif, serait-il encore bon ? L’eau dans ce verre est une bonne chose, mais si l’eau inondait toutes les pièces de la maison, elle serait mauvaise, n’est-ce pas ? De sorte qu’est bon ce qui est à sa place et mauvais ce qui est en dehors de sa place. Une vertu, si sainte soit-elle, si elle n’est pas à sa place, devient mauvaise. Il y a des saints qui ont fait beaucoup de mal avec leurs vertus.

Q. Et le Moi gnostique, que faut-il en faire ?

R. Il faut aussi l’annihiler, afin qu’il ne reste que la conscience gnostique pure. Le Moi gnostique est superficiel et mécanique, mais la conscience gnostique est révolutionnaire, terriblement divine.

Q. Dissoudre l’Ego n’est pas du tout une chose facile. Par conséquent, pourriez-vous nous donner une aide concrète ?

R. Je suis en train de vous donner des explications fondamentales ; mais il faut bien prendre conscience que ce travail de dissolution de l’Ego est une chose très personnelle, propre à chacun de nous. Personne ne peut faire le chemin à ta place. Toi seul peux le parcourir. L’unique chose que je puisse faire pour toi c’est te montrer le chemin et te donner des indications précises pour le suivre, c’est tout.

Q. Maître, si nous ne comprenons pas les enseignements gnostiques, si nous ne les vivons pas, n’y a-t-il pas le danger que nous convertissions la Gnose, les enseignements, en un simple code moral ?

R. Certes ! Et je constate justement une propension très marquée, chez tous les frères du Mouvement gnostique, à créer des codes moraux. Tous ont en effet tendance à s’enfermer dans des codes moraux et, ce qui est pire, à les imposer aux autres, à y enfermer les autres. À la longue, ces codes s’avèrent absurdes, malsains, étouffants, deviennent pour ainsi dire des bouteilles, des cages dans lesquelles le mental demeure emprisonné ; survient alors l’échec dans le travail d’élimination de l’Ego.

On a écrit dans le monde un grand nombre de codes moraux. Mais qu’est-ce que la morale ? Pourrait-elle servir à la dissolution du Moi ? Pourrait-elle éclairer cette face cachée de notre lune psychologique, ce côté de nous-mêmes que nous ne voyons pas ? Pourrait-elle nous conduire à la sanctification ? Absolument pas ! La morale est fille des us et coutumes, de l’endroit et de l’époque. Ce qui est moral à un endroit est immoral à un autre endroit ; ce qui est moral à une époque ne l’est plus à une autre époque. Jadis, en Chine, tuer son père lorsqu’il était devenu trop vieux et incapable de se suffire à lui-même, c’était bien. Que dirions-nous aujourd’hui si un homme tuait son père ? Ce serait un meurtre, un parricide, n’est-ce pas ? Ainsi, la morale est esclave du lieu, des coutumes et de l’époque. Alors, s’ils ne sont d’aucune utilité pour la dissolution du Moi, à quoi servent tous ces brillants codes de morale ?

Si vous changez, il pourra arriver que les gens se retournent contre vous. Si l’un de vous change, il pourra se produire que nous tous, ici présents, le qualifierons mal, le traiterons d’immoral, de mauvais – « regardez ce qu’il a fait », etc.

C’est-à-dire que la censure surgit, et c’est cela que veulent les gens : que l’Initié reste embourbé dans le passé, qu’il ne naisse jamais à un état nouveau, qu’il ne change pas. Lorsque l’Initié change, ce changement est mal interprété, mal jugé. Ainsi, l’Ego relève du temps et l’Ego d’autrui ne peut tolérer que quelqu’un ose sortir du temps ; il ne le lui pardonne pas.

Si l’un de vous change, vous pouvez être sûrs que tous les autres le critiqueront. Nous voulons que le Maître lui-même marche selon certaines normes préétablies dans le temps. Et je vous certifie que vous ne verriez pas d’un bon œil que je sorte de ces normes. Vous diriez probablement : « Regardez ce qu’il fait, et on dit que c’est un Maître ! Impossible, ce n’est pas un Maître ! » Pourquoi ? Parce que j’ai voulu sortir de l’ornière ?

Parce que je n’ai pas voulu continuer à être enfermé dans vos codes moraux, dans vos normes ? Parce que je n’ai pas voulu continuer à être embouteillé dans le temps ? Même si cela peut vous sembler incroyable, chacun de vous suit un code moral précis, auquel il tient comme à la prunelle de ses yeux. Certains parmi vous suivent des normes plus ou moins préétablies par leur famille au fil du temps ; d’autres suivent des règles de conduite déterminées, apprises dans différentes écoles pseudo-ésotériques ou pseudo-occultistes, ou qu’ils ont reçues de leurs précepteurs religieux. Si quelqu’un ose sortir de l’ornière, si quelqu’un ne se comporte pas conformément à ces normes que vous avez solidement établies dans votre tête, celui-là devient pour vous un indigne, un hérétique, un scélérat… Vous lui en voulez à mort, il est devenu l’ennemi numéro un de votre morale étroite, vous ne pouvez lui pardonner d’aller contre le courant, de vouloir sortir du cloaque… Vous voyez combien il est difficile de parvenir à l’autoréalisation intime de l’Être ! À mesure que l’on s’auto-observe psychologiquement, on élimine cette face cachée, on reconnaît qu’il y a à l’intérieur de soi des facteurs que l’on ignorait, des éléments que l’on ne soupçonnait pas le moins du monde. Lorsque nous éliminons ces facteurs, cela engendre des changements psychologiques, et ces changements sont mal interprétés par nos semblables. Les gens ne veulent absolument pas accepter que quelqu’un ne se comporte pas conformément aux normes établies, selon les codes institués, selon les principes admis…

Il arrive cependant dans ce travail qu’il faille faire des choses qui semblent « immorales » ; on doit parfois sortir de certaines normes auxquelles tous sont soumis. Il arrive que l’on croie que l’on va très bien, alors qu’en réalité on va très mal ; et parfois, lorsque les autres pensent que l’on va très mal, on va bien, on n’a jamais marché aussi bien. Le Chemin est ainsi… Il y a souvent beaucoup de vertu chez les méchants et beaucoup de méchanceté chez les vertueux. Il y a de terribles dangers : on peut s’engager dans un cul-de-sac, croyant être sur la bonne voie, et s’écarter ainsi du Chemin réel, de la Voie royale…

Q. Vénérable Maître, j’ai cherché le Chemin pendant de nombreuses années, et maintenant, à 70 ans passés, je me demande s’il est encore possible de le trouver ?

R. Mais vous êtes déjà sur le Chemin, mon cher frère, vous l’avez déjà trouvé. À présent, ce qu’il vous faut faire, c’est le parcourir avec fermeté et détermination, c’est tout. Vous devez naturellement travailler avec les trois facteurs de la Révolution de la Conscience. Jésus le Christ a dit : « Celui qui veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive ». « Se renier soi-même », c’est s’atteler à la dissolution du Moi, de l’Ego ; « prendre sa croix », c’est autre chose : rappelez-vous que le bois vertical de la croix est masculin et le bois horizontal féminin ; la clef de tout pouvoir réside dans le croisement des deux pièces. La croix est éminemment sexuelle, phallique ; elle signifie rien de moins que le travail dans la Neuvième Sphère. Nous devons descendre dans la Forge des Cyclopes pour fabriquer les corps solaires et parvenir à la deuxième naissance. Suivre le Christ constitue le troisième facteur : suivre le Christ signifie se sacrifier pour l’humanité, comme il l’a fait, être prêt comme lui à donner jusqu’à la dernière goutte de son sang pour que tous les êtres humains qui peuplent le monde aient accès à la connaissance rédemptrice.

Ainsi donc, les trois facteurs de la Révolution de la Conscience sont mourir, naître et se sacrifier pour l’humanité. Voilà le chemin, et vous y êtes. C’est le seul et unique chemin, il n’y en a pas d’autres. Suivez-le avec fermeté…

Q. Vous avez raison, c’est vrai, je suis déjà sur le Sentier. Mais vous nous avez souvent dit qu’il est difficile de marcher sur le « sentier en lame de rasoir », que nous devons désintégrer l’Ego, annihiler ces « démons rouges » dont vous nous avez tant parlé. C’est pourquoi je vous demande, Maître, si je pourrai atteindre, malgré mon âge, cette lumière divine à laquelle j’ai tellement aspiré.

R. Mais bien sûr ! D’abord et avant tout, il faut prendre en considération le pouvoir de la lance sacrée. Rappelle-toi la nature de ce grand pouvoir : la lance est l’emblème de la force sexuelle masculine. Il faut apprendre à travailler avec la lance, à manier cette énergie merveilleuse du Troisième Logos (l’Esprit Saint). Il me vient en ce moment le souvenir de Parsifal – l’opéra de Wagner –, de cet épisode où Kundry, la séductrice, essaie de faire tomber Parsifal. Quel moment extraordinaire ! Voyant son échec, Kundry appelle, invoque le ténébreux Klingsor qui projette contre le jeune homme cette lance avec laquelle le soldat romain Longin avait transpercé le flanc du Seigneur Jésus. Mais cette lance ne peut lui faire de mal, ne peut le blesser ; il l’attrape de la main droite, puis il fait le signe de la croix. Le château de Klingsor alors s’écroule, roule au fond de l’effrayant précipice de l’Abîme, est réduit en poussière cosmique.

Ainsi donc, le symbole de la lance est très intéressant : la lance représente la force sexuelle, le fameux IT, particule extraordinaire formée du I et du T, clef atlante magnifique. Si, au moment suprême de la volupté, c’est-à-dire pendant l’acte sexuel, nous nous concentrons sur la Divine Mère Kundalini, si nous la prions d’empoigner la lance, d’utiliser le pouvoir de l’énergie créatrice pour détruire les démons rouges, elle le fera. Si nous la supplions de projeter la lance avec force, de la projeter avec pouvoir contre tel ou tel Moi, elle l’accomplira : elle réduira en poussière, un par un, chacun de ces agrégats psychiques.

Mais il y a évidemment une marche à suivre : en premier lieu il faut avoir observé et compris le Moi que nous voulons éliminer ; il faut l’avoir compris à fond, intégralement, dans les 49 régions du subconscient. Après quoi nous pouvons supplier notre Mère Kundalini, à l’instant suprême de la transe sexuelle, l’implorer de saisir la lance et de réduire le Moi en poussière cosmique. Grâce au pouvoir de la lance, nous pouvons ainsi, peu à peu, désintégrer l’Ego, puis en finir avec les trois Traîtres et mettre enfin un terme au dragon des ténèbres ; grâce au pouvoir de la lance, nous pouvons éliminer les bêtes du monde souterrain, dans lesquelles est emprisonnée notre conscience, notre Essence.

Je vous donne ici une clef formidable. Je sais, mon estimable frère, que vous êtes déjà assez avancé en âge, mais le pouvoir de l’énergie créatrice n’est pas encore disparu en vous. Le cycle sexuel dure normalement jusqu’à 84 ans, et vous n’avez pas 84 ans. Alors profitez de cette merveilleuse énergie.

Q. Certains auteurs affirment que nous devons sacrifier la souffrance. Qu’en pensez-vous ?

R. Voyez-vous, les gens seraient prêts à tout sacrifier, excepté la souffrance. Ils sont capables de sacrifier leurs vices, leurs passions, leur vie même, mais pas leur douleur. Ils aiment trop leurs souffrances, ils ne les sacrifieraient pour rien au monde. Mais il faut effectivement sacrifier aussi les souffrances ; il faut apprendre à extraire des souffrances ce qui est utile, à tirer profit de l’adversité. Car les pires adversités nous offrent toujours les meilleures opportunités pour l’autoréalisation. C’est ainsi que je comprends le sacrifice des souffrances.

Il y a des douleurs atterrantes, profondes, qui pénètrent dans la conscience ; si nous savons en tirer parti, si nous savons profiter de la leçon qu’elles nous donnent, nous sacrifions alors la souffrance. C’est là une vérité terrible, mais il faut passer par l’annihilation du mental, des sentiments, de la personnalité, du Moi. Au terme de toutes ces transformations, de tous ces travaux, surgit à la fin une créature différente, terriblement divine, au fond de chacun de nous. C’est pourquoi il est dit que la transformation commence par la mort, et que c’est par la transformation que nous pouvons parvenir à la deuxième naissance et nous convertir en êtres terriblement divins, au-delà du bien et du mal


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